Les animaux, la mort et nous
« Peu nous importe que l’on nous raille, lorsque nous crions bien haut que la dépouille du chien vaut mieux que la boîte à ordures ou le trou de l’égout ». C’est par ces mots que l’avocat Georges Harmois défendait, à la fin du XIXe siècle, la création d’un cimetière pour chiens à Asnières. L’idée d’offrir une sépulture à des animaux de compagnie suscitait alors l’hilarité ou le mépris, dans une société où ceux-ci étaient encore perçus comme des quasi-objets.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Nombre de civilisations anciennes inhumaient leurs animaux, à commencer par les Égyptiens. Même dans l’Europe chrétienne du Moyen-Âge, qui ne reconnaît de salut qu’à l’être humain, la question de l’âme des bêtes n’est jamais tout à fait tranchée. Reflet de cette ambigüité, plusieurs d’entre elles furent condamnées à mort lors de procès d’animaux qui se tinrent au moins jusqu’à la Révolution, quand un perroquet fut jugé pour avoir la fâcheuse habitude de crier « Vive le Roi ! ».
Ces projections anthropomorphistes nous paraissent aujourd’hui aussi étranges que la notion d’animal objet : nous trouverions aussi fou de juger un chat que de lui dénier une sépulture. Notre perception a changé, et la législation s’est naturellement adaptée pour accompagner ce changement. L’inhumation et la crémation des animaux de compagnie, de plus en plus souvent personnalisées, sont aujourd’hui des pratiques courantes et encadrées.
Au-delà de l’aspect pratique, c’est bien de nos propres rapports affectifs qu’il s’agit. Que l’on rende hommage à son animal de compagnie lors d’une cérémonie, ou que l’on honore sa mémoire avec une sépulture, c’est un attachement profond que l’on exprime envers un être vivant qui, bien souvent, fait partie de la famille. Pour beaucoup d’enfants, la disparition d’un animal est d’ailleurs la première expérience de la mort, difficile et formatrice à la fois.
L’animal de compagnie donne et reçoit la tendresse dont certaines personnes isolées sont privées. Pour d’autres, il est une présence réconfortante dans la douleur, ou un compagnon dans des moments de joie. Cet attachement, s’il diffère pour certains (mais pas pour tous) de celui qui nous lie aux humains qui nous sont chers, n’en est pas moins noble pour autant : il est, lui aussi, un témoignage d’amour.
Ce constat simple pose pourtant des questions complexes. Doit-on par exemple autoriser les personnes qui le souhaitent à être enterrées avec leur animal de compagnie ou ses cendres ? La loi française l’interdit. Mais la loi est-elle toujours en phase avec les aspirations de la société ? Alors que le député Loïc Dombreval défendra dans quelques semaines devant l’Assemblée nationale « une proposition de loi visant à permettre aux propriétaires décédés de reposer avec leurs animaux », rappelons que la loi actuelle autorise encore l’équarrissage des animaux abandonnés, ou qu’elle dispense les crématoriums pour animaux des règles environnementales qui s’appliquent aux crématoriums pour humains…
La question animale face à la mort pose des dilemmes éthiques qui viennent rappeler la nécessité de faire dialoguer nos convictions personnelles et nos principes collectifs. C’est en réfléchissant ensemble à la place qu’occupent les animaux à nos côtés que nous progressons dans l’élucidation du mystère de l’homme, de sa place et de sa vocation au cœur de l’univers.
Comme presque chacun de nous a pu en faire l’expérience, la vie et la mort d’un animal qui nous est cher est un amplificateur de notre humanité. C’est sur ce consensus qu’il nous faut aujourd’hui trouver les voies d’honorer, à l’heure de leur mort, ces autres créatures dont la vie est tissée à la nôtre.
Thierry Gisserot, Xavier Thoumieux PDG et fondateurs de FUNECAP GROUPE