Thierry GISSEROT & Xavier THOUMIEUX : "un moment historique"
Le 11 juin dernier, la Ville de Paris annonçait la victoire du Groupe FUNECAP dans l'appel d'offre relatif notamment à la gestion du crématorium du Père-Lachaise.
La gestion du crématorium du Père-Lachaise ainsi que la construction d’un nouvel équipement à Paris 19ème viennent d’être attribuées à FUNECAP GROUPE. Cet événement vient souligner la ténacité et le professionnalisme des équipes de la Société des Crématoriums de France, ainsi que de l’ensemble des intervenants extérieurs qui, depuis près de neuf mois, auront été les acteurs de cette réussite. Xavier Thoumieux et Thierry Gisserot, co-présidents exécutifs du Groupe FUNECAP, partagent avec nous les temps forts de ce succès collectif.
S’agit-il d’un événement historique pour le Groupe FUNECAP ainsi que pour votre filiale La Société des Crématoriums de France qui exploite ces établissements ?
Xavier Thoumieux : Absolument. Historique à notre petite échelle bien entendu. Et un peu aussi pour le secteur. C’est en tout cas un événement qui fera date et dont nous sommes particulièrement fiers. Mais avant d’aller plus loin, nous souhaitons, Thierry et moi, sincèrement remercier l’ensemble des collaborateurs de FUNECAP et de la Société des Crématoriums de France. Leurs niveaux d’expertise et de professionnalisme, leur engagement depuis de nombreuses années, auront permis au Groupe d’acquérir les valeurs, les compétences, le savoir-faire, la notoriété, mais aussi la vision, requis pour produire une réponse pertinente à un dossier d’une telle complexité avec, à la clef, une victoire particulièrement satisfaisante qui intervient, quasiment jour pour jour, à la date anniversaire de la création de notre groupe il y a 10 ans.
Thierry Gisserot : Au lancement de l’appel d’offres, beaucoup n’y croyait pas, estimant que les jeux étaient faits d’avance étant donné qu’il était certain que nous allions devoir concourir contre la SEM[1] de la ville de Paris, délégataire en place, et probablement contre d’autres groupes structurés et professionnels. Cela étant, depuis un certain nombre d’années, la position d’outsider nous sied plutôt bien. Aussi, le renoncement n’étant pas dans notre culture, nous avons décidé après mûre réflexion de nous lancer dans l’aventure pour relever un défi que d’aucuns disaient insurmontable, mais… “à cœur vaillant, rien d’impossible”.
XT : Neuf mois plus tard… Neuf mois d’une aventure humaine et collective sans pareille… Neuf mois de travail acharné, de rebondissements inattendus, d’excitations, de doutes… Et alors que d’autres ont renoncé devant l’ampleur de la tâche, c’est le soulagement et même un peu l’euphorie. Cette victoire qu’on peut qualifier d’exceptionnelle, nous a permis d’être choisis pour devenir, à compter du 1er septembre 2019, et pour 30 ans, les nouveaux gestionnaires des crématoriums parisiens comprenant le Crématorium du Père-Lachaise – 1er crématorium de France dont la construction débuta en 1889 et qui réalise aujourd’hui près de 6.200 crémations par an – et d’un second établissement à construire square Forceval dans le 19e arrondissement de Paris. Cet appel d’offre était donc particulièrement complexe puisqu’il portait sur deux projets distincts – la rénovation en profondeur du crématorium du Père Lachaise dans les strictes contraintes imposées par son statut de monument historique – et la création d’un nouveau crématorium avec une chambre funéraire (10 salons) et quatre salles de cérémonie, pour lequel il était demandé de rendre…trois projets distincts !
TG : Aujourd’hui, bien que nous puissions considérer cette victoire comme mémorable, puisque c’est sans doute la première fois qu’une structure indépendante l’emporte sur une SEM dans ce type d’appel d’offres, il me semble personnellement que l’aspect spécifique de cet événement va bien au-delà et démontre que ce service public, rendu à plus de 90% par des sociétés privées en France, n’est l’apanage d’aucun type d’acteur.
Décrocher cette victoire face à la SEM sortante a incité certains à tenter de créer un début de polémique sur l’impossibilité pour une entreprise privée d’assurer un service public. On vous a même désigné comme un fonds d’investissement dont l’enjeu serait purement financier au détriment de la qualité d’accompagnement des familles. Que répondez-vous à cela ?
XT : Il faut tout d’abord saluer le professionnalisme des équipes de la ville de Paris qui ont mené tambour battant et en toute indépendance cet appel d’offre particulièrement complexe et ont donné à chacun des deux candidats l’occasion de s’exprimer de façon complète et exhaustive au travers de près de deux cents questions, de dizaines d’allers et retours et de dizaines d’heures d’audition et d’échanges.
TG : Ensuite, au-delà de ce type de critique facile et pour tout dire un peu pathétique, nous répondons qu’il n’y a aucune honte à gérer des fonds d’investissement. Nous l’avons fait durant de nombreuses années notamment pour le compte d’entités publiques. Nous avons soutenu avec ces fonds plus d’une quarantaine de PME et ETI sur des durées parfois très longues (plus de 10 ans) et avons permis à ces sociétés de se développer fortement (et donc d’embaucher et de payer des impôts…).
XT : Nous avons d’ailleurs nous-mêmes réinvesti l’essentiel de nos gains dans un groupe qui est passé en 10 ans de 0 à 2.000 salariés… Aujourd’hui, comme tous les groupes et sociétés indépendants du secteur, nous sommes soutenus par des banques. Et également par des investisseurs professionnels (notamment mutualistes) qui nous apportent les moyens de nos ambitions…ainsi que de celles des entrepreneurs qui nous vendent leurs sociétés puisque nous faisons souvent fonction de « caisse de retraite » pour entrepreneurs désireux de passer à autre chose. Entrepreneurs qui restent d’ailleurs souvent au capital de Funecap et n’ont pas l’air pressé d’en sortir… Nous sommes donc des entrepreneurs venant du monde de l’investissement et sommes associés à des entrepreneurs qui viennent du secteur funéraire et sont à présents investisseurs. Chacun finit par faire le métier de l’autre.
TG : Quant à l’opposition entre public et privé elle est particulièrement factice dans notre secteur. En effet, l’activité funéraire est juridiquement un « service public industriel et commercial » (SPIC). Comme le rappel la Cour des Comptes dans son dernier rapport sur les SEM funéraires, un SPIC peut être assuré par des organismes publics ou privés. Il reste soumis à la tutelle des autorités publiques (l’État ou une collectivité territoriale), mais, lorsqu’il s’agit d’organismes privés, le droit privé s’y applique majoritairement. Les SEM sont d’ailleurs des sociétés de droit privé qui, bien que leur capital soit majoritairement détenu par des organismes publics, répondent aux mêmes contraintes et objectifs que tous les autres acteurs privés.
XT : La Cour des Comptes n’a d’ailleurs pas été tendre avec les SEM funéraires dans les deux rapports qu’elle a produits ces derniers mois, allant jusqu’à reprocher à l’une d’entre elles des pratiques de type publicité mensongère vis-à-vis des familles. A notre connaissance, aucune autre société décrite comme « privée » n’a subi à ce jour ce type de reproche (de la part de la DGCCRF par exemple). L’erreur n’est l’apanage de personne….
Aucune société ne peut se targuer d’être à l’abri, il vaut donc mieux rester solidaires et expliquer ensemble, notamment vis-à-vis du monde extérieur qui ne connaît pas (et souvent ne veut pas connaître…) notre secteur, ce qui fait la grandeur de ce métier.
TG : Le plus important restant les familles et la façon dont elles sont prises en charge. A cet égard, nous qui venons d’un univers différent avons toujours été frappés par la dimension supplémentaire que possède l’immense majorité des collaborateurs des entreprises funéraires quel que soit le type d’entreprise considéré. En effet, ces collaborateurs ressentent leur travail comme une mission au service des familles et font preuve d’un engagement et d’une abnégation bien supérieurs à ceux qu’on trouve dans d’autres secteurs. C’est d’ailleurs pourquoi les taux de satisfaction des familles sont très majoritairement au-dessus de 80%, quelle que soit le type de société considéré, ce qui est très supérieurs à la moyenne des autres secteurs.
XT : C’est donc cela qu’il faut retenir : une profession particulièrement engagée au service des familles, servie par des collaborateurs qui cherchent systématiquement à faire de leur mieux. Quant à ce début de polémique fondé sur une vision dogmatique et artificielle, il a fait « pshitt », pour reprendre l’expression d’un ancien président de la République, devant les qualités du projet gagnant tant au plan architectural, qu’opérationnel, écologique et financier.
TG : la porosité entre les différents types d’entreprises a d’ailleurs toujours été la règle : plusieurs dirigeants de SEM viennent du monde soi-disant « privé » et – chez Funecap – nous aurons le plaisir d’accueillir fin juillet Alain Pouget (ex-patron de la SEM de Montpellier dite du « Grammont ») comme nouveau directeur général de la société des Crématoriums de France en remplacement de Pierre Vidallet qui, après l’avoir fondé il y a près de 30 ans, prend sa retraite sur un coup d’éclat ! Nous en profitons donc pour saluer l’immense travail accompli par Pierre durant toutes ces années et pour souhaiter à Alain la bienvenue au nom de tout le groupe.
Cette victoire est le fruit d’un travail de longue haleine, quelles en sont les clés ?
XT : En réalité, c’est la victoire d’une histoire, d’une culture et d’un état d’esprit. Une histoire car il y a 10 ans nous avons créé ce groupe en venant d’un autre univers, en investissant l’essentiel de ce que nous possédions dans ce projet, en recrutant petit à petit parmi les meilleurs professionnels du secteur, et en travaillant jour et nuit pour arriver à surmonter les obstacles – nombreux – auxquels nous avons dû faire face.
C’est donc aussi des sacrifices en termes de rémunération mais aussi de temps que vous avez concédés ?
XT : En effet, Thierry et moi n’avons perçu aucune rémunération durant plus de 3 ans puisqu’il fallait payer en priorité nos collaborateurs et réinvestir la trésorerie du groupe dans notre développement et nos projets, notamment pour créer et améliorer nos agences et chambres funéraires. Pas un euro de dividende n’a été versé ; tous les profits ont été réinvestis. C’est pourquoi, nous pensons bien faire partie de la catégorie des « entrepreneurs indépendants » (nous contrôlons le capital de notre groupe), et ce, d’autant que plus d’une trentaine de nos principaux cadres sont également actionnaires du groupe à nos côtés. Simplement nous avons une vision nationale (et peut-être un jour internationale) de notre secteur et sommes plus « systématiques » dans notre développement que d’autres acteurs indépendants qui œuvrent au niveau régional (et qui, pour la plupart, se développent également par acquisitions, exactement comme nous…).
TG : Cette histoire a créé notre culture d’entreprise qui est fondée et a été construite sur les relations humaines qui précèdent et priment les considérations économiques et financières. Xavier et moi travaillons depuis 20 ans ensemble et le projet FUNECAP GROUPE s’est développé à partir de cette amitié, du souhait de continuer notre route ensemble plutôt que de profiter d’une retraite anticipée et de discussions, d’abord informelles et amicales, avec de remarquables professionnels du secteur comme Luc Behra qui a été notre premier salarié et associé.
FUNECAP GROUPE est donc né de discussions « autour d’un café » sur le secteur, son évolution et la pertinence d’y monter un projet spécifique. Et s’est développé grâce à l’apport, osons le dire, de certains des meilleurs professionnels du secteur qui nous ont rejoints au fur et à mesure de l’aventure. Il s’en suit que la culture d’entreprise du groupe est marquée par cet historique fondateur de relations personnelles ainsi que par une ambiance très « start-up » qui mêle la proximité des uns avec les autres, un engagement très fort dans le projet et beaucoup de travail.
Bien entendu, tout n’est pas rose au sein de notre groupe et les échanges peuvent être vifs, voire durs, car le niveau d’exigence est très élevé et monte au fur et à mesure de la croissance du groupe. Mais nous essayons de toujours privilégier la rationalité et l’efficacité dans les décisions, les échanges directs et sans fioritures et la circulation la plus fluide possible de l’information. Notamment en ce qui concerne les mauvaises nouvelles ou les difficultés qui ont une certaine tendance à remonter plus lentement que les bonnes…Pas de coups bas ni de couteau dans le dos chez nous…
Bref, c’est une culture entrepreneuriale et de responsabilité qui s’est imposée. Et aussi d’exemplarité puisque lorsqu’il s’agit de finir un tel dossier à 3 heures du matin pour le rendre à 10 heures, tout le monde est dans la soute du haut en bas de l’échelle…
XT : Quant à notre processus de décision, il est très participatif et calqué sur celui des « partenariats » à l’anglo-saxonne où tout le monde peut donner son avis quel que soit son niveau de séniorité. Il n’y a pas de questions idiotes et, dans un monde particulièrement complexe et qui évolue très rapidement, les bonnes analyses et les bonnes décisions ne sont jamais le fruit de la réflexion d’une seule personne mais d’une équipe. In fine, la plupart des décisions sont donc le produit d’un consensus de l’équipe. Bien entendu, s’il faut trancher, les dirigeants assument ce rôle mais le principe de solidarité est établi. Ce qui fait que, lorsqu’une décision est prise de façon collective, il ne peut pas y avoir de reproche individuel s’il s’avère que, finalement, cette décision était moyenne ou mauvaise. Cette façon de procéder est parfois difficile à vivre pour les équipes car elle est fondée sur la remise en question permanente de tous par tous mais elle crée un esprit de corps où la parole est libre et les responsabilités assumées par le groupe.
TG : Et c’est exactement cette méthodologie que nous avons appliquée à l’appel d’offre des crématoriums parisiens et qui nous a conduits à la victoire. Il y a d’ailleurs une anecdote très représentative dont je voudrais vous faire part… Moins d’une semaine avant le premier rendu des copies, nous tombons sur un article dans lequel Pénélope Komitès, adjointe à la mairie de Paris chargée notamment des espaces verts et des affaires funéraires, faisait référence au projet du futur crématorium de Paris. Elle y indiquait que, malgré les possibilités offertes par le PLU (notamment en termes de hauteur possible du bâtiment), elle souhaitait bénéficier de propositions où les bâtiments, bien qu’affichant des qualités architecturales certaines, seraient le plus discret possible pour s’intégrer au mieux dans l’environnement. A la lecture de ces quelques lignes, les emails ont fusé jusqu’à assez tard dans la nuit pour finalement arriver à la conclusion qu’il fallait revoir en profondeur au moins une de nos propositions : cela a donné l’Orée, projet semi-enterré et « invisible » car de faible hauteur et totalement « vert », qui a fini par l’emporter… Saluons d’ailleurs Julien Favier et Luc Behra pour avoir fait émerger la solution qui a suivi !
Pouvez-vous nous en dire plus sur la composition de l’équipe en charge de ce projet ?
XT : L’équipe composée spécialement pour cette consultation a regroupé une quinzaine de collaborateurs du groupe – FUNECAP et Société des Crématoriums de France – associés à une quinzaine de partenaires externes d’horizons divers : architectes, bureaux d’études, spécialistes des monuments historiques, des espaces verts, de l’environnement, etc.
TG : Le cabinet d’architectes AAVP (Vincent Parreira et Marie Brodin) était dédié au projet du nouveau crématorium du square Forceval alors que le cabinet SaMa (Sandrine Lestrade et Marie Fernandez) a œuvré sur le dossier du Père-Lachaise. Ont également participé : Facultatieve Technologies (équipements de crémation), Log Architectes (partenaire de AAVP), l’Agence Brunelle (architecte en chef des monuments historiques), l’Atelier Roberta (paysagiste), Grahal (conseil en connaissance, gestion et valorisation du patrimoine), CameBat (économie de la construction), Lab Ingénierie (ingénierie environnementale), EVP (ingénierie des structures), Louis Choulet (ingénierie des fluides), ATEVE (ingénierie en aménagements urbains durables), Sherlock Patrimoine (assistance technique), Altia (ingénierie acoustique).
Tous, au sein de cette équipe, nous avions à cœur d’inscrire les crématoriums parisiens dans une démarche innovante, qualitative et écoresponsable, et pour ce faire, notre proposition devait constituer une véritable rupture avec le passé.
Le Crématorium du Père-Lachaise est un lieu emblématique et chargé d’Histoire : comment avez-vous pu innover tout en respectant le patrimoine ?
XT : L’aspect disruptif de notre projet concernant le crématorium du Père-Lachaise trouve son essence dans notre volonté de « décompresser » le site qui était à l’origine prévu pour 1.000 à 2.000 crémations et pas pour plus de 6.000…
Nos équipes internes, bureaux d’études et autres partenaires, dirigées par Julien Favier dont le travail acharné et la créativité ont été clef dans la réussite du projet, ont mené une réflexion approfondie autour des équipements de crémation et de filtration afin de réduire et rationaliser les espaces techniques. Ce qui était très difficile dans un bâtiment ancien dont on ne peut bouleverser la structure. En procédant ainsi, nous sommes parvenus à réattribuer une partie des zones techniques aux familles pour améliorer l’accueil. Cette redistribution de l’espace intérieur n’aura aucune incidence sur l’aspect extérieur du bâtiment. Ainsi, nous respecterons scrupuleusement l’ensemble des contraintes liées au statut de monument historique du site. Concernant les appareils de crémation, nous avons fait le choix d’anticiper leur renouvellement malgré le coût supplémentaire que cela représentait, afin de nous inscrire dans notre stratégie consistant à systématiquement proposer le plus haut niveau d’équipement possible aux familles et également dans notre parti pris résolument éco responsable et dans notre exigence de sécurité totale… Exit les filtrations à huile et avec elles tous les risques de pollution et d’incendie…
TG : Il faut préciser que ces solutions concernant le Père-Lachaise ont également été rendues possibles grâce à l’approche globale de notre projet depuis l’origine : « deux sites pour un seul établissement ». Ce choix original, non prévu par le cahier des charges mais qui en laissait la possibilité, nous a permis de répartir de façon équilibrée les appareils de crémation sur les deux sites pour gagner de la place au Père Lachaise, et également d’assurer une sécurisation et une continuité dans le service, notamment lors des phases de travaux ou d’entretien.
Le volet Père-Lachaise représente un investissement de près de 9 M€ dans notre proposition. Aussi, outre les postes que je viens d’évoquer, nous entendons également effectuer d’importants travaux de remise en état et de préservation de ce fleuron national de la crémation. Ce niveau d’investissement, fort des ambitions sociales et éco responsables des projets, nous permettra également de le mettre au niveau des exigences et attentes actuelles des familles, tant dans la qualité des services proposés que dans leur approche innovante et durable.
Votre projet du square Forceval verra le jour en 2023, vous avez présenté trois projets construits autour de valeurs fortes : le social, l’écologie, l’innovation et la qualité de service. Comment avez-vous conçu ces projets ?
XT : De la façon la plus humble, la plus professionnelle et la plus rigoureuse possible… Comme le stipulait le cahier des charges, nous avons produit trois projets très différents les uns des autres et présentant chacun une personnalité très affirmée. En revanche, tous avaient en commun une approche très qualitative, innovante et écoresponsable, en parfaite adéquation avec la vocation future du site, tant au niveau symbolique que technique, et répondant parfaitement aux critères d’excellence exigés par la Ville de Paris.
TG : Il est à préciser que, dans ces trois propositions, nous avons à chaque fois, mais dans des configurations différentes, chercher à exploiter au mieux le potentiel du terrain dédié à ce futur Parc funéraire de Paris. Et là encore, nous tenons à saluer le travail effectué par toute l’équipe, car cette parcelle présentait de nombreuses contraintes et pas des moindres. Sans entrer dans les détails, les deux éléments majeurs qu’il nous fallait absolument prendre en compte était le fait que sa surface totale (qui est aujourd’hui dédiée à un jardin public) était de 6.000 m2 dont nous ne pouvions utiliser que 50% (positionnés comme nous le souhaitions) afin de laisser l’autre moitié en jardin. Le fait qu’à proximité immédiate de cette parcelle passait une conduite de gaz, entraînant potentiellement de très fortes contraintes en fonction de la proximité de bâtiment à construire, n’a pas simplifié la réflexion. Sans compter que le terrain est situé en limite du périphérique au Nord et d’une voie de chemin de fer au Sud. Autant vous dire que ces “petits détails” réduisaient considérablement le champ des possibles. De fait, la production du cabinet AAVP et de son cabinet associé (Log Architectes, Thomas Saint-Guillain et Julie Fernandez) n’en est que plus remarquable, et ce, pour les trois propositions.
Pouvons-nous avoir plus de précisions sur les 3 propositions soumises ?
XT : Avec grand plaisir, c’est la moindre des choses au vu du travail effectué…
TG : Tout d’abord, “Le Mont”. C’était un projet fondé sur le lien ancestral et multiculturel qui existe entre les points surélevés de notre terre et le sacré, considéré comme des ponts vers le divin. Son bâtiment, créant un relief artificiel, évoquait les tumulus, ces formes primitives de sculptures présentes en Europe, en Amérique précolombienne, en Chine ou encore au Japon. Enfin, l’accès au site, à l’image d’un pèlerinage vers la montagne sacrée, symbolisait le détachement progressif de l’homme vis-à-vis de sa sphère quotidienne, et son ascension, l’élévation vers le ciel.
La structure qui absorbait l’ensemble des fonctions du site – funérarium, crématorium, centre de réflexion – de par sa forme à la fois douce et familière, s’intégrait parfaitement à son environnement en créant un trait d’union entre nature et culture, réel et spirituel, vivants et morts.
Le second projet a été baptisé “L’Île”. Le site se voulait oasis d’apaisement et de sérénité au sein d’un environnement tumultueux. Un lieu protecteur au large de la cité qui dessine son horizon.
Situées en bordure de parcelle, les bâties, auraient fait obstacle aux nuisances sonores des automobiles en s’ouvrant sur un parc verdoyant. “L’Île” évoque un ailleurs. Elle crée une rupture avec le quotidien et renvoie le deuil dans un espace-temps à part. Elle veut protèger les familles sans les oppresser. L’enceinte a été rendue volontairement floue par une alternance de la végétation et de la structure artificielle qui fait office de canopée. Ainsi, les usagers pourraient, à loisir, s’égarer visuellement hors du lieu afin d’alléger la dureté et le caractère implacable du deuil.
Enfin, viens “L’Orée”, le projet victorieux. “L’Orée” marque une fin et un début… fin des plaines et début des bois. La lisière, le seuil de l’existence, le départ vers l’au-delà, le début d’une vie sans l’autre sont matérialisés par la forêt qui se dresse au centre du site. En effet, une grande partie du projet est implantée en sous-sol (parking, espaces techniques, etc.), laissant une part belle à un parc paysagé en surface. Les salles de cérémonie (en hauteur et à la lumière naturelle) y reprennent le thème de l’hypogée – crypte, tombeau souterrain – aménagement très présent dans l’architecture funéraire antique. Ce bâtiment se réfère au Trésor d’Atrée à Mycènes et à la nécropole royale de Vergina en Grèce qui démontrent, s’il en était besoin, que ce type d’ouvrage en partie enterrés peuvent se placer au sommet de l’art universel.
Comme dans les deux autres propositions, un ciel artificiel diffuse une lumière douce dans l’ensemble des locaux. Cette même lumière guide les familles vers la sortie en fin de cérémonie, symbolisant le retour à la vie après l’adieu au défunt.
XT : Comme vous pouvez le constater, chaque projet reposait sur une démarche et un concept architectural forts et spécifiques. Ces derniers étant les fruits d’une réflexion approfondie visant à mettre en exergue nos volontés de symbolique forte, d’innovation, d’éco responsabilité et de socio-responsabilité allant de concert avec la qualité de service que la Ville de Paris était en droit d’attendre pour ses administrés.
Un crématorium est un lieu à la fois de recueillement mais aussi technique. Comment avez-vous concilié ces aspects pour en faire un bâtiment à la fois esthétique et fonctionnel ?
XT : Ça l’est toujours, plus ou moins, mais cela dépend surtout des qualités d’écoute et d’adaptation de ceux qui vont œuvrer sur le projet. En cela, nos architectes et partenaires ont été parfaitement à l’écoute et réactifs « au quart de tour ». Nous avions également l’avantage de bénéficier de toute l’expérience de nos collaborateurs de la Société des Crématoriums de France. Il faut garder à l’esprit que cette structure, faisant partie intégrante du Groupe FUNECAP, gère près de 45 crématoriums en France (ouverts et en construction), et, dans bien des cas, leur niveau de prestation fait référence en matière de qualité, d’innovation et de professionnalisme.
Aussi, dans le cadre de cette consultation, nous avons poussé le savoir-faire de nos équipes et partenaires à son paroxysme afin d’être en mesure de proposer une qualité architecturale de très “haute volée“, mais où l’esthétique resterait au service de la technique et, “in fine“, des besoins et attentes des familles.
Bien que les aspects architecturaux et esthétiques aient compté pour près de 40 % des points, notre expertise, dans les domaines de la crémation et de l’accueil des familles en situation de deuil, nous enjoignait à ne pas perdre de vue la vocation première des lieux. Pierre Vidallet, Julien Hanoka et Luc Behra ont été les acteurs clefs de cet aspect fondamental du projet.
Au-delà de l’aspect architectural, quel est le cœur même de ce projet du Square Forceval ?
XT : Comme vous l’aurez bien compris, notre parti pris se veut résolument éco-responsable et socio-responsable. Ainsi, « L’Orée » comprendra quatre salles de cérémonie, dix salons, quatre appareils de crémation et un columbarium, sur une superficie intérieure totale de près de 7 000 m2 répartis sur cinq niveaux. Son bâtiment intégrera les exigences du nouveau “Plan Climat“ de Paris et sera rendu complètement autonome grâce à la récupération d’énergie liée à son fonctionnement. Qui plus est, cette énergie produite étant supérieure aux besoins de la structure, de fait, celui-ci sera classée BEPOS (Bâtiment à Énergie POSitive).
TG : Nous avons également prévu une démarche d’économie circulaire visant à produire des prestations et services tout en limitant fortement la consommation et le gaspillage des matières premières et des sources d’énergies non renouvelables. Ce modèle économique sera associé à une recherche de biodiversité et à des protocoles de certification.
Pour la partie technique, les appareils de crémation seront de dernière génération, beaucoup moins gourmands en énergie, et disposant d’une maintenance dite “long life“. Les entretiens étant beaucoup plus espacés dans le temps, ils permettent de limiter les phases d’arrêts techniques. De plus, ces équipements, proposés par Facultatieve Technologies France, vont bien au-delà des obligations légales en matière de filtration.
Précisons que, pour la consultation, la Ville de Paris avait fixé des exigences bien supérieures aux limites des seuils d’émissions atmosphériques réglementaires, et que notre projet est fondé sur des seuils améliorés en moyenne de 37 % par rapport à ces exigences légales en vigueur. C’est dans ce même souci d’exigence que nous avons ajouté un système de filtration des oxydes d’azote (à l’origine de particules fines), appelé « Denox » garantissant une baisse très sensible des particules considérées comme les plus nocives. Enfin, dès l’obtention des premiers certificats d’homologation pour les corbillards, nous déploierons une flotte composée d’une trentaine de véhicules électriques (nous avons d’ores et déjà pris les premières options du marché sur ce type de véhicules).
XT : « L’Orée », ou Parc funéraire de Paris, représente un investissement de 26 M€. C’est un investissement certes très important, mais, qui reflète sa sensibilité éco-responsable très affirmée et son caractère également socio-responsable.
J’entends par-là que les tarifs proposés seront inférieurs, dès le 1er septembre prochain, à ceux du Père-Lachaise et de l’ensemble des crématoriums environnants. Et, bien entendu, contrairement à ce qu’on a pu lire dans des journaux peu préoccupés par la vérité des faits, ces tarifs sont fixes pour les trente ans de délégation modulo les révisions annuelles en fonctions des indices INSEE.
C’est en ce sens que nous allons construire une offre dite “sociale“ avec des tarifs spéciaux dédiés aux personnes inscrites sur les registres des services sociaux, doublée d’une attention particulière pour les populations en difficulté et les minorités, celle-ci pouvant aller jusqu’à la gratuité pour les indigents. Dans le même temps, nous entendons développer une démarche d’ “Économie Sociale et Solidaire“ en collaboration, entre autres, avec l’association “Les Canaux“.
Sur chaque poste, nous avons eu à cœur d’aller au bout de notre démarche. Profitons-en pour saluer le rôle très important qu’ont joué Damien Garon et Cédric Trouboul dans la construction de l’offre et la gestion du dossier qui a été particulièrement mouvementée et difficile.
Sans oublier, notre avocat et ami, Mathieu Seyfritz, avec qui nous avons dû faire face à un long parcours du combattant juridique pour aboutir après de longues tractations, liées à la complexité du dossier, à un contrat de quelques centaines de pages…
FUNECAP Groupe semble porter des valeurs fortes, pensez-vous qu’elles vous ont permis de faire la différence pour remporter cette victoire ?
XT : D’une manière générale, nous n’aimons pas mettre en avant des mots comme « valeurs » ou « intégrité » car, au-delà du fait que trop nombreux sont ceux qui surjoue de cette corde, l’expérience démontre que ce sont ceux qui en parle le plus qui en font le moins dans ce domaine… Nous préférons faire en sorte que nos actes parlent pour nous. Comme nous l’avons déjà dit nous avons fait la différence grâce à notre esprit d’équipe, aux très importants moyens que nous avons mis en œuvre pour répondre à cette consultation, aux compétences de nos équipes et à leur abnégation qui nous a permis de ne rien laisser au hasard. Et au travail acharné auquel nous avons ajouté du travail et encore du travail.
TG : Les 30 ans d’expérience et d’expertise de la Société des Crématoriums de France y sont aussi pour beaucoup.
Celle-ci étant reconnue pour développer une approche du service fortement qualitative, elle s’est vu décerner, en 2019, la 1re place des 13 500 enseignes de services à la personne en France par le magazine Capital (étude auprès de 20 000 personnes), et ce, sur trois critères :
Cette étude émane-t-elle de vos services ?
XT : Non pas du tout, nous n’étions même pas au courant que cette étude existait, nous l’avons découverte en ouvrant le magazine ! Satisfaction supplémentaire : nos deux marques nationales, Roc Eclerc et Pompes Funèbres Pascal Leclerc, s’attribuent les deux places suivantes au classement.
Enfin, et là encore la Société des Crématoriums de France nous a permis d’avoir le recul nécessaire pour être juste et cohérents dans notre proposition, je pense que le volet financier a également joué un grand rôle dans la décision finale de la mairie de Paris. En effet, les deux projets cumulés représentent un investissement global d’environ 37 M€, fondé sur des bâtiments qualitatifs à haute valeur ajoutée qui reviendront gratuitement à la Ville en fin de DSP.
L’ensemble de l’offre se voit sécurisée par la surface financière de notre Groupe, à laquelle s’ajoute une expérience certaine dans la création et la gestion de crématoriums avec une quarantaine d’établissements en portefeuille, parmi lesquels les plus importants de France (Nice, Cuers, Rouen, etc.). Cette expérience nous a également permis de proposer une redevance fortement optimisée pour la Ville de Paris, à savoir 30 % du chiffre d’affaires annuel… soit un total de redevance cumulée sur 30 ans (durée de la DSP) de 107 M€, dont 67 M€ garantis a minima.
Ces éléments, tant au plan de l’investissement que de la redevance, se sont manifestement démarqués très favorablement de l’offre concurrente.
TG : Comme nous l’avons dit en ouverture : « à cœur vaillant, rien d’impossible »… Nous nous sommes investis à 300 % dans cette consultation, nous avions la volonté de relever un défi que beaucoup jugeaient impensable, et aujourd’hui, après cette victoire bien méritée, nous portons l’ambition de faire de ces équipements parisiens une référence européenne en matière de crémation.
[1] Société d’Economie Mixte, société de droit privé détenue majoritairement par des capitaux publics.